Johan Barthold Jongkind

Un passeur vers l’Impressionnisme

Johan Barthold Jongkind est né à Lattrop au Pays-Bas en 1819, huitième enfant d’une famille de paysans. À dix-sept ans il entre à l’académie de peinture de La Haye où son professeur, le peintre Andreas Schelfhout l’initie à l’aquarelle « rapide ». 

En 1846 le peintre français Eugène Isabey, en visite protocolaire dans cette ville, le persuade de le suivre à Paris. Jongkind s’installe momentanément dans la maison où Isabey a son atelier puis rejoint Pigalle, et enfin Montparnasse. Sur le plan pictural, le style d’Isabey est « fluide » fait de taches de couleurs et sans détail précis. Il s’inscrit dans le mouvement « Romantique » qui s’écarte du style académique. À l’évidence il influença Jongkind. 

Il entraîne son élève dans des voyages qu’il fait, en particulier sur les côtes normandes, au nord de la Seine (Saint Valéry en Caux, Le Tréport …) C’est ainsi qu’il lui donnera le goût de la peinture en extérieur. Même si le marchand d’art Pierre-Firmin Martin le soutient, Jongkind a du mal à vivre de sa peinture, et après 10 années passées à Paris, il retourne au Pays-Bas et s’installe à Rotterdam, où il n’est pas plus reconnu. 

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Jongkind, “Le clocher de l’église Ste Catherine,” Musée E. Boudin, Honfleur

Tout compte fait il revient en 1860 à Paris. C’est à cette époque qu’il rencontre chez le « Père Martin » Joséphine Fesser, également néerlandaise d’origine. Elle deviendra sa « bonne fée », à la fois compagne, collègue, soutien moral et financier.

La même année, il effectue son premier voyage à Honfleur qu’il considère comme « le pays le plus admirable » et ajoute « je pense que Honfleur donne tout ce qu’il faut comme motif à faire de beaux tableaux ». Effectivement il peint le port, les rues de la vielle ville, la chapelle Notre-Dame de Grâce, la plage devant l’hôpital, et bien sûr l’église Sainte-Catherine. (Le musée Eugène Boudin de Honfleur expose un de ses tableaux représentant le clocher de cette église un jour de marché.)

Il revient à Honfleur en 1862 et s’installe chez l’habitant, 23 rue du Puits (où une plaque commémore sa présence). Mais c’est à l’écart de Honfleur, à la ferme Saint-Siméon, haut lieu de la peinture à l’époque, qu’il rencontre d’autres artistes comme Eugène Boudin et Claude Monet qui reconnaîtront plus tard l’influence qu’il a exercé sur leur manière de peindre. En septembre 1865, il fera un dernier séjour dans notre cité.

Sur le plan de sa peinture, deux remarques s’imposent :

* En premier lieu l’approche picturale de Jongkind est basé sur des aquarelles au sujet desquelles Emile Zola écrivait, « On dirait des ébauches jetées en quelques heures par crainte de laisser échapper l’impression première ». Claude Monet les qualifiera d’ « instantané éphémère ». Ces ébauches lui servent ensuite—et il ne s’en cache pas—à peindre des tableaux où il ajoute ou retranche certains éléments dans un souci d’équilibre de la composition.

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Jongkind, “Vue du port au chemin de fer à Honfleur” (1866), aquarelle rapide, en préparation pour …
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Jongkind, “Vue du port au chemin de fer à Honfleur” (1866), huile sur toile

*En second lieu, chez Jongkind, le dessin reste toujours bien présent ; c’est en ce sens qu’on ne peut pas le considérer comme un Impressionniste. Toutefois, c’est un précurseur, un « passeur ».

Avec son maître Isabey, il a fait sienne le principe de ses touches successives, c’est à dire sans continuité. Mais Jongkind ira plus loin : il les fractionnera. C’est cette évolution technique qu’il transmettra, lors de leurs rencontres à la Ferme Saint Siméon, à Eugène Boudin et à Claude Monet, que l’on peut considérer comme ses disciples. 

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J. B. Jongkind, “Entrée du port de Honfleur” (1863-64), huile sur toile, Art Institute of Chicago

A partir des années 1870, il commence à être reconnu au point d’être copié ; on trouve ainsi des faux Jongkind ! Il voyage beaucoup. On le trouve à Nevers, où travaille le mari de sa compagne, et atterrit à la côte Saint-André en Isère (dans le Dauphiné) dans une maison acquise par Jules Fesser, le fils de sa « bonne fée ».

Des désordres psychiques perturbent sa fin de vie, et il s’éteint en 1891, suivi six mois plus tard par sa légataire Joséphine Fesser. Ils sont enterrés côte à côte dans le cimetière de La Côte Saint-André, non loin du célèbre musicien Hector Berlioz, enfant du pays.

« Jean Baptiste » Jongkind, comme le prénomment volontiers les français, aura effectivement vécu plus longtemps dans notre pays que sur sa terre d’origine, les Pays Bas.

Son rôle aura été celui d’un passeur sur le chemin qui mène à l’Impressionnisme, chemin qui passe par Honfleur.

—Philippe Grenier

P.S. : Pour les amoureux de Jongkind, je conseille un petit livre d’Anne-Marie Bergeret-Gourbin, ancienne conservatrice du musée E. Boudin de Honfleur, à l’évidence amoureuse de ce peintre. Vous le trouverez facilement sur Amazon: Jongkind au fil de l’eau (Éditions Herscher).